Mademoiselle Lenormand est l'un des 10 personnages mystérieux qui marquèrent l'Histoire, bien que n'étant pas étudiée dans les manuels scolaires ...
Afin de célébrer la sortie du livre de Pascal Cazottes, "10 personnages mystérieux qui marquèrent l'Histoire...", nous vous proposons la lecture en deux parties de l'incroyable destin de Mademoiselle Lenormand ! Retrouvez l'ensemble des personnages étudiés par Pascal Cazottes dans la table des matières de son nouvel ouvrage. en cliquant sur la couverture ci-contre.
Le 27 mai 1772, à Alençon, naît Marie-Anne Adélaïde Lenormand qui deviendra la plus grande prophétesse de son temps. Ses parents lui ont donné le même prénom que leur première fille décédée en 1768 (quelques heures seulement après sa naissance). D’aucuns ont alors pensé que cette enfant disparue était revenue sur terre, car une tradition populaire veut que l’âme d’un bébé défunt s’incarne de nouveau dans le corps du nourrisson qui lui succède et auquel on a attribué un prénom identique. On ne sait si cette croyance aura eu un quelconque impact sur le développement psychique de la jeune Marie-Anne. Toujours est-il que cette dernière va développer un étonnant don de clairvoyance, et ce, dès son plus jeune âge. Ayant perdu très tôt ses parents, la petite Lenormand, âgée de sept ans, est placée à l’abbaye royale des dames bénédictines d’Alençon. Entre les murs de ce couvent, elle reçoit une éducation très soignée, sa vive intelligence se nourrissant de latin, de lettres classiques, de musique et de peinture. Mais si les sœurs peuvent se féliciter de l’apprentissage aisé de leur jeune élève, elles s’inquiètent de l’imagination par trop débordante de Marie-Anne, et surtout de ses facultés dignes d’une pythonisse... Ne s’est-elle pas mis en tête de prédire l’avenir à ses camarades ? En 1781, lors de la révocation de l’abbesse, la petite Lenormand annonce que la Mère Supérieure sera remplacée par une dame de Livardie. Or, sa prédiction se réalisera, dix-huit mois plus tard, par l’arrivée de ladite dame, nommée sur ordre du roi. Les Bénédictines, largement incommodées par le “don” de leur élève, décident alors de se débarrasser de cette cassandre en la plaçant dans une maison de couture. Mais Marie-Anne, consciente de son talent et de son charme naturel, n’a pas l’intention de végéter dans un emploi de couturière. Aussi, décide-t-elle, en 1786, d’aller tenter sa chance à Paris.
Arrivée dans la capitale, Mlle Lenormand trouve d’abord un emploi dans un magasin de frivolités de la rue Honoré Chevalier. A la même époque, elle fait la connaissance d’Amerval de la Saussotte, un jeune aristocrate qui décide de la prendre sous sa protection. Demeurant désormais chez le comte, les ragots vont bon train, de sorte que, pour faire taire les mauvaises langues, elle dit occuper officiellement la fonction de lectrice. En fait, elle continue ses prédictions et tire les cartes à tous ceux qui veulent connaître leur avenir. En 1790, Mlle Lenormand effectue un voyage jusqu’à Londres. Dans la capitale britannique, elle rencontre le docteur Gall, l’inventeur de la phrénologie, lequel lui aurait révélé, après avoir longuement examiné son crâne : “La bosse ! Vous possédez la bosse de la divination. Vous serez la plus grande sibylle d’Europe !”. De retour à Paris, Mlle Lenormand est confrontée à cette Révolution qui n’en a pas fini de faire trembler le monde. C’est d’abord son protecteur, le comte de la Saussotte, qui est arrêté et dont le triste sort le conduira jusqu’à l’échafaud. Le jour de la rafle, Mlle Lenormand parvient toutefois à s’échapper et s’en va trouver refuge dans un garni proche du Palais-Royal. C’est en ce lieu qu’elle fait la connaissance de dame Gilbert, une tireuse de cartes qui lui apprendra les ficelles du métier. Cette dernière s’est adjoint les services d’un garçon boulanger du nom de Flammermont. Pendant que les deux devineresses s’emploient à dire la bonne aventure, il est chargé de leur rabattre la clientèle, notamment par la distribution de tracts publicitaires. Mais ce trio ne durera pas très longtemps. Consciente de sa supériorité, Mlle Lenormand décide de faire cavalier seul et s’en va ouvrir un cabinet “d’écrivain public” au 9 de la rue de Tournon. Sous couvert d’une activité d’écriture, elle continue, bien évidemment, à exercer sa véritable profession de vaticinatrice. Le choix de la rue de Tournon par la pythie d’Alençon n’est sans doute pas dû au hasard. Cagliostro, lui-même, était réputé y avoir séjourné à plusieurs reprises. C’est aussi en cet endroit que résida Jacques-René Hébert, un révolutionnaire redouté, directeur du journal de propagande “le Père Duchesne”. Originaire d’Alençon, tout comme Mademoiselle Lenormand, on peut penser que la prophétesse rechercha son appui (ou du moins à le fréquenter) en ces temps troublés. Du n° 9, Mlle Lenormand déménagea bientôt au n° 5 qui présentait un abri bien plus sûr. N’y avait-elle pas découvert, à l’aide d’un pendule, un passage secret – dans la cave même de l’immeuble – qui donnait accès à tout un réseau de souterrains ? Mais cela ne l’empêchera pas d’être arrêtée pendant la Terreur. En attendant, son commerce est florissant et son salon ne désemplit pas. De célèbres Révolutionnaires, au nombre desquels nous trouvons Marat, Danton, Camille Desmoulin, Saint-Just et Robespierre, viennent la consulter. Dans ses mémoires, la sibylle de la rue de Tournon nous dresse un portrait de Maximilien Robespierre pour le moins incroyable : “C’était un homme sans caractère. Superstitieux à l’excès, il se croyait envoyé par le Ciel pour coopérer à une entière régénération de la société. Je l’ai vu, en me consultant, fermer les yeux pour toucher les cartes, frissonner même à la vue d’un neuf de pique… J’ai fait trembler ce monstre, mais peu s’en fallut que je ne devinsse sa victime…” Effectivement, Robespierre fera arrêter Mlle Lenormand en 1793. Incarcérée à la Petite-Force pour avoir prophétisé une contre-révolution, Mlle Lenormand s’emploie, dans cet établissement pénitentiaire, à soutenir le moral de ses compagnes d’infortune, souvent de noble naissance, en leur prédisant une libération imminente. Sa réputation allant bon train, même dans le milieu carcéral, des billets lui sont envoyés d’autres prisons, dont un qui allait assurer la bonne fortune de la pythie dans l’avenir, celui émanant d’une certaine Marie Josèphe Rose de Beauharnais, plus connue sous le prénom de Joséphine. Celle dernière, en proie à de vives inquiétudes, ne serait-ce que par sa condition de prisonnière, sollicite un horoscope auprès de Mlle Lenormand, laquelle lui fera la réponse suivante : “Le général de Beauharnais sera victime de la Révolution. Vous survivrez à votre époux. Un second mariage est annoncé avec un jeune officier, que son étoile appelle à des hautes destinées.” A compter de ce jour, les deux femmes deviendront amies, et la future impératrice sera le principal soutien financier de la sibylle du faubourg Saint-Germain.
L’année 1794 voit la libération des deux prisonnières. Mlle Lenormand est retournée à ses occupations de devineresse et s’est constitué une nouvelle clientèle dont les noms sont entrés dans l’Histoire : Tallien, Barras, Juliette Récamier et David, pour ne citer que ceux-là. Un jeune officier du nom de Bonaparte, songeant alors à entrer au service du Sultan, l’aurait également consultée en 1795. Si l’on en croit les propos attribués à la pythonisse, sa prédiction concernant le futur Empereur des Français se serait montrée particulièrement exacte : “Vous n’obtiendrez point de passeport ; vous êtes appelé à jouer un grand rôle en France. Une dame veuve fera votre bonheur et vous parviendrez à un rang très élevé par son influence, mais gardez-vous d’être ingrat envers elle, il y va de votre bonheur.”
Une fois mariée au général Bonaparte, Joséphine continue bien évidemment de consulter Mlle Lenormand, et ce, de manière assidue, ce qui n’est pas toujours au goût de son auguste mari, lequel craint, non sans raison, les confidences que son épouse pourrait faire à la sibylle. Ayant désormais ses entrées à la Malmaison, Mlle Lenormand annonce à Joséphine, un jour du mois de mai 1801, qu’elle sera “plus que reine”. Quant à Napoléon, elle aurait décelé, dans son thème de naissance, sa coopération à de grands événements, voyant en lui “l’homme unique”. Elle va, cependant, s’attirer les foudres du 1er Consul, après avoir notamment prophétisé l’échec d’un débarquement en Angleterre à partir du camp de Boulogne. Mais, bien plus grave encore, elle divulguera à la femme du général Moreau l’arrestation prochaine de son mari, cette information lui provenant plus sûrement d’une indiscrétion de Joséphine que de ses véritables dons de voyante. La prophétesse est donc arrêtée, le 16 décembre 1803, puis amenée à la maison d’arrêt des Madelonnettes. Toutefois, elle n’aura pas le temps de croupir en prison, étant libérée le 1er janvier 1804, sans doute grâce à l’intervention de sa bienfaitrice. Elle est néanmoins placée sous surveillance policière, Fouché faisant établir des rapports circonstanciés sur ses activités. C’est ainsi qu’un compte-rendu, datant du mois d’octobre 1804, nous révèle “qu’une demoiselle Lenormand, se disant cousine de Charlotte Corday, habitant rue de Tournon, fait métier de tireuse de cartes. Les imbéciles de première classe vont la consulter en voiture. Les femmes surtout y affluent. J’ai entendu faire contre cette intrigante des plaintes en escroquerie qui prouvent son adresse ; on assure que la femme d’un capitaine de la gendarmerie d’élite nommé Bloum y a été faite de plus de quatre mille francs depuis dix-huit mois ; cette femme s’était tellement endettée à l’insu de son mari qu’elle en est morte de chagrin en quatre jours.”
Bien que Mlle Lenormand soit soupçonnée d’escroquerie, Joséphine reste sous son influence et son époux n’y peut rien, comme se l’est rappelé le baron de Méneval dans ses mémoires : “Napoléon n’approuvait pas cette faiblesse de Joséphine et il l’a même souvent ridiculisée. J’ai été le témoin de la défense qu’il lui intima d’aller consulter Mlle Lenormand. Il fit même arrêter cette célèbre jongleuse. Joséphine enveloppait du plus profond mystère ses rapports avec elle, et jamais l’intendant de ses dépenses n’a connu les sommes dont l’Impératrice payait les prédictions de la cartomancienne.”
Le 9 décembre 1809, Mlle Lenormand commet une nouvelle imprudence en allant s’entretenir avec Joséphine sur le projet du divorce impérial. Pour Napoléon, c’en est trop ! Il ordonne à Fouché de faire arrêter la voyante et de ne la relâcher qu’après l’officialisation du divorce. Le 11 décembre, soit deux jours après sa rencontre avec l’impératrice, Mlle Lenormand est conduite à la Préfecture de Police. Suivant le rapport dressé au moment de son arrestation : “On a arrêté la femme Lenormand qui faisait le métier de devineresse. Presque toute la cour la consultait sur les circonstances actuelles (du divorce). Elle tirait l’horoscope des plus hauts personnages et gagnait à ce métier plus de 20.000 francs par an.” Présentée à Fouché, elle déclare à ce dernier, avec toute l’assurance qui la caractérise, qu’elle s’attendait à comparaître devant lui, puisque son horoscope le lui avait annoncé.
Douze jours plus tard, soit le 23 décembre 1809, Mlle Lenormand est libérée, mais elle n’en a pas fini avec Napoléon. Dans “Les Oracles Sibyllins ou la suite des souvenirs prophétiques”, ouvrage paru en 1817, Mlle Lenormand nous apprend, de sa propre plume, qu’elle avait mis en garde l’Empereur contre son désir de revenir en France après la première abdication. Voici un extrait du livre en question : “Jupiter dit à Joséphine, en parlant de Napoléon : “Qu’il apprenne enfin qu’il ne sera protégé du souverain de l’Olympe, qu’autant qu’il ne s’écartera jamais du cercle qui lui est prescrit (l’Ile d’Elbe). Une ligne de démarcation lui sera tracée par nous. S’il voulait la franchir, et s’il y parvenait, alors il servirait de leçon à ceux qui, comme lui, révoqueraient en doute la certitude des destinées écrites.” Et la pythie d’ajouter un peu plus loin : “Je lui promets de veiller toujours constamment sur sa personne, et de le garantir, par la force de ma cabale, des projets sinistres et diaboliques du petit homme rouge ; ou autrement Pithon, surtout si cet esprit de mensonge lui suggérait les moyens d’éluder ou d’enfreindre l’arrêt prononcé par l’Olympe.” Le “petit homme rouge”… les mots ont été lâchés. Mlle Lenormand prétendait connaître ce personnage mystérieux, celui que quelques-uns n’hésitaient pas à désigner comme le démon familier de l’Empereur. Napoléon était effectivement censé avoir rencontré ce bien étrange individu à plusieurs reprises, notamment lors de moments difficiles, comme au siège de Saint-Jean-d'Acre. Bien qu’on ne pût jamais se saisir de ce “fantôme”, sa notoriété en France allait grandissant, ce qui poussa sans doute Mlle Lenormand à donner son nom (ou plutôt son surnom) à l’un de ses livres publié le 30 juillet 1831 : “Le Petit Homme Rouge au château des Tuileries. La vérité à Holy-Rood. Prédictions, etc.” Bien que la prophétesse ne parle pratiquement pas du petit homme rouge dans son ouvrage, elle nous en livre néanmoins une description fort étonnante : “La céleste déesse s’entretenait avec un petit homme simple et duquel on n’avait pas l’air de faire cas ; au contraire, la multitude le fuyait… C’est un vampire ! s’écriaient les plus braves, et vampiour est songe très mauvais… Il n’était point couvert de ces tristes lambeaux qu’une ombre désolée emporte des tombeaux. Au contraire, sa mise était décente : ce qui le distinguait, c’était un manteau rouge et un petit chapeau napoléonien surmonté d’une aigrette. L’expression de sa figure me frappe ; ses jeux de mots heureux respiraient une légère critique sur la cour populaire. La finesse de son esprit, les contrastes qu’il établissait entre 1808 et 1831 faisaient rire aux larmes…”
Pour en terminer avec les relations, quelque peu houleuses, qu’entretint Mlle Lenormand avec Napoléon, signalons cette reconnaissance (tardive), par l’Empereur, des talents de la devineresse. C’est Las Cases, le célèbre mémorialiste, qui rapporte, dans une de ses lettres, ces paroles de Napoléon 1er prononcées à Sainte-Hélène au sujet de la sibylle : “Elle m’a fait le dessin de cette île sur la boiserie d’un appartement qui doit encore exister à Paris, rue de Tournon ; elle m’a décrit Longwood et montré Hudson Lowe… Je savais tout cela étant encore au faîte de la puissance, mais je n’y attachai nullement foi.”
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