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Photo du rédacteurStéphan Levacher

GCDO#10 - Stéphan Levacher - La découverte de l’anneau : une scène hautement archétypale


La scène de la découverte de l’anneau par Déagol se situe au début de l’opus trois (« Le Retour du roi ») des films réalisés par Peter Jackson. Dans la saga de Tolkien, la découverte de l’anneau par des Hobbits est racontée par Gandalf à Frodon, dans le chapitre deux du livre I, chapitre intitulé « L’Ombre du passé ».

La séquence du récit sur laquelle nous allons nous pencher est traduite ainsi dans la version française :


« Longtemps après, mais c’était encore dans un temps très lointain, vivait près des rives du Grand Fleuve, à la lisière du Pays Sauvage, un petit peuple à la main habile et au pied silencieux. Je pense qu’ils étaient du genre hobbit, apparentés aux pères des pères des Forts, car ils aimaient le Fleuve ; ils y nageaient souvent et confectionnaient de petites embarcations de roseaux. Il y avait parmi eux une famille de grande réputation, car elle était nombreuse et plus fortunée que la plupart ; elle était gouvernée par une grand-mère, sévère et versée dans ce qui restait de la tradition ancienne. Le membre le plus inquisiteur et le plus curieux de sa famille s’appelait Sméagol. Il s’intéressait aux racines et aux origines ; il plongeait dans les étangs profonds ; il fouissait sous les arbres et les plantes en croissance ; il creusait dans les monticules verts ; et il cessa de lever le regard sur le haut des collines, les feuilles sur les arbres ou les fleurs s’ouvrant dans l’air : sa tête et ses yeux étaient dirigés vers le bas.

« Il avait un ami nommé Déagol, du même genre, à l’œil plus perçant, mais moins rapide et moins fort. Un jour, ils prirent une embarcation et descendirent jusqu’aux champs aux Iris, où il y avait de grands parterres d’iris et de roseaux fleuris. Là, Sméagol débarqua pour aller fureter sur les rives ; mais Déagol resta dans la barque et se mit à pêcher. Soudain, un gros poisson mordit à son hameçon et, avant d’avoir pu savoir où il était, il fut entraîné dans l’eau, jusqu’au fond. Puis il lâcha sa ligne, car il crut voir briller quelque chose dans le lit de la rivière ; et, retenant son souffle, il saisit l’objet.

« Il remonta ensuite, tout crachant, avec des algues dans les cheveux, et une poignée de boue ; et il regagna la rive. Et voici qu’après avoir fait partir la boue, il avait dans la main un splendide anneau d’or ; celui-ci brillait et scintillait au soleil, de sorte qu’il eut le cœur content. Mais Sméagol l’avait observé de derrière un arbre, et tandis que Déagol contemplait l’anneau, Sméagol s’avança doucement derrière lui.

̶ Donne-moi cela, Déagol, mon cher, dit Sméagol par-dessus l’épaule de son ami.

̶ Pourquoi ? demanda Déagol.

̶̶ Parce que c’est mon anniversaire, mon cher, et je le veux, dit Sméagol.

̶ Ça m’est égal, répondit Déagol, je t’ai déjà fait un cadeau, un cadeau au-dessus de mes moyens. J’ai trouvé ceci, et je vais le garder.

̶ Ah, oui, vraiment, mon cher ? dit Sméagol.

« Et il saisit Déagol à la gorge et l’étrangla, parce que l’or avait l’air si brillant et si beau. Puis il passa l’anneau à son doigt. »


Le film opère quelques modifications intéressantes en termes d’interprétation. Sméagol est dans la barque avec Déagol. Il pêche aussi, mais le dos tourné à Déagol avant que celui-ci ne bascule par-dessus bord. Lorsque Déagol retient son souffle sous l’eau, son visage a un aspect hydropique : on a l’impression qu’il est gorgé d’eau tout autant qu’il retient son souffle.


Cette scène est très importante dans l’économie du roman, ce qui explique qu’elle ait été déplacée en préambule du dernier opus des films.

C’est la première manifestation tangible de ce que représente l’anneau dans le champ de conscience des humains de base (en l’état premier du développement possible de leur être) représentés, on le comprend, par les Hobbits. Les Hobbits incarnent aussi une espèce humaine encore très proche de la nature : ils « vivent près des rives du Grand Fleuve, à la lisière du Pays Sauvage ».

La découverte de l’anneau d’or se produit un peu par hasard. Ce jour-là, un gros poisson mord à l’hameçon et conduit Déagol aux abords du lieu des profondeurs où se trouve le fameux anneau, le précieux (qui devrait permettre de se rapprocher des cieux, du Principe transcendantal divin, dans la langue des oiseaux).

La chance répond semble-t-il tout de même à certaines aptitudes activées à cet instant en deux Hobbits un peu particuliers : l’aptitude à méditer, mais également une certaine curiosité donnée comme étant plus ou moins malsaine, en tout cas mal orientée : « il [Sméagol] creusait dans les monticules verts ; et il cessa de lever le regard sur le haut des collines (…) sa tête et ses yeux étaient dirigés vers le bas. »

La nature ne s’oppose pas forcément à ce type de réflexion-méditation, à partir du moment où cela n’est pas trop intrusif. Elle y incite même, ce à quoi pourrait renvoyer la représentation du « champ aux Iris » (on entend en français Osiris… le démantelé, l’incomplet). Iris, dans la mythologie grecque, est la messagère d’Héra. Iris transmet le plus souvent de bonnes nouvelles, c’est-à-dire des informations créatrices qui pourraient permettre de déployer toutes les potentialités de l’être. On entre donc dans le champ du déploiement possible de potentialités considérables.

Mais la curiosité est plutôt rare chez les Hobbits ; elle semble un peu déviante, voire contre-nature à cette espèce humaine encore très fusionnée au giron maternel. Le monde des Hobbits est gouverné par la Grand-Mère. C’est une civilisation encore régie par un matriarcat : « elle [la famille] était gouvernée par une grand-mère, sévère et versée dans ce qui restait de la tradition ancienne. »

La curiosité de Sméagol s’avère de fait être périlleuse, elle est même criminelle en l’occurrence.


La scène de la découverte de l’anneau est un condensé d’images archétypales.

Les représentations archétypales sont très nombreuses dans l’œuvre de Tolkien. L’auteur mêle avec brio imagination vraie et imagination fantasmatique. Imaginatio vera non fantastica stipulent les anciens qui privilégient la première et rejettent la seconde (non fantastica) parce que seules les images archétypales produites par l’imaginatio vera ont une vraie valeur initiatique.

Les images archétypales viennent des profondeurs, révèlent les racines, les ressorts de la psyché humaine individuelle et collective. La psyché collective est ce qui donne corps, même provisoire, à la surface plus ou moins stable, à la réalité que nous prenons pour le Réel. Mais la réalité n’est qu’une excavation dans le Réel (une bulle de réalité), une caverne aurait dit Platon (image 0), dont la raison d’être, comme d’une mine, est sans doute l’extraction et l’usage approprié, bénéfique, du trésor de l’être, le précieux.

Sméagol est chassé de son excavation, ce qui pourrait être une chance : « (…) sa grand-mère désirant avoir la paix, le chassa de la famille et l’expulsa de son trou.» Mais il ne sort de ce trou que pour s’enfoncer davantage dans la nuit d’un psychisme de moins en moins éclairé. « Et il se glissa comme un ver dans le cœur des montagnes et disparut de la connaissance de quiconque. L’anneau descendit avec lui dans les ombres (…) ».

Les images archétypales révèlent les ressorts inconscients, invisibles, de la personnalité humaine, ses tendances, ses aspirations, ainsi que les processus qui régissent son développement. Elles évoquent aussi une issue possible à la caverne et la perspective d’un épanouissement absolu, en l’absolu.

Retrouvez la suite du dossier de Stéphan Levacher dans les pages de Génération Cités d'Or #10 :



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